Le média Construction 21 a publié un entretien avec Guillaume Dahringer, directeur technique de l’association FSC France, dont la mission est de permettre une gestion forestière responsable des forêts tout autour du monde. Ensemble, nous faisons le point sur l’intérêt du bois tropical pour le BTP, mais aussi sur la nécessité de le certifier.
On associe souvent bois tropicaux et déforestation. Qu’en est-il réellement ?
Guillaume Dahringer : C'est en fait l'agriculture qui est le principal vecteur de la déforestation. Nous perdons de vastes zones de forêts au profit de l'huile de palme, du soja et de l'élevage bovin parce que ces activités apportent malheureusement beaucoup plus de bénéfices économiques immédiats aux populations qu'une forêt, surtout si l'on considère qu'il faudrait ne pas l'exploiter.
Selon le WWF, l'une des solutions pour lutter contre la déforestation est d’opérer une gestion forestière durable ; c'est justement la vision que porte FSC. Il faut donner sa juste valeur (environnementale, humaine, sociale et économique) à la forêt pour pouvoir la conserver.
À combien estime-t-on la part de bois tropicaux certifiés (notamment FSC) ?
GD : Si l'on considère la quantité totale de bois importée par l'UE, seuls 30 % étaient certifiés en 2021, et depuis lors, aucune tendance à la hausse n'a été observée bien que la demande pour des bois certifiés FSC reste soutenue. Parmi tous les pays européens, la France se situerait à un niveau moyen d'importation de bois durable (29 %). Il y a donc encore beaucoup d’effort à faire tant du côté des entreprises que du côté des Etats !
Un point d'étape sur l'utilisation du bois tropical dans le BTP en France, notamment en termes de parts et d’essences ?
GD : La France représente environ 20% des importations européennes de bois tropicaux, principalement en provenance d’Afrique et d’Amérique Latine.
Ils sont principalement utilisés pour les aménagements extérieurs — platelage, terrasses, aménagements paysagers — et la menuiserie — fenêtres, portes, contreplaqué pour l’aménagement intérieur. La demande continue à se concentrer malheureusement sur un petit nombre d’essences (ipé, sapelli, okoumé, iroko, etc.) malgré la grande diversité des forêts tropicales. L’évolution des réglementations internationales sur le commerce des espèces sauvages (CITES) fait cependant évoluer le marché du fait de la raréfaction de certaines de ces espèces.
Pourquoi le bois tropical est-il prisé dans le secteur du BTP ?
GD : Le bois a des propriétés techniques qui lui confèrent des avantages uniques en fonction des usages recherchés : résistance à la flexion statique, résistance à la compression, absorption des chocs, dureté, résistance au feu, stabilité dimensionnelle, résistance chimique, réduction du bruit... De nombreux bois durs tropicaux ont une très forte résistance naturelle aux champignons, ce qui signifie que ce matériau est performant pour des usages extérieurs, dans les applications où il est exposé à l'humidité et au vent. Tout en gardant à l’esprit que la fabrication et la conception doivent être effectuées correctement afin d'éviter l'accumulation d'excès d'humidité dans la structure, les joints et les recouvrements.
L'essentiel, c'est le bon bois pour le bon usage.
Quels avantages présentent les bois tropicaux en matière de durabilité ?
GD : Le principal outil que nous connaissons pour mesurer l'impact environnemental d'un matériau de construction est l'analyse du cycle de vie (ACV). Ce calcul prend en compte tous les impacts environnementaux qu'un matériau peut avoir sur la vie des plantes, des animaux et des êtres humains.
Le bois tropical issu d'une gestion durable surpasse tous ses matériaux concurrents (bois composites, PVC, acier, béton et autres matières plastiques) dans les calculs de l'ACV, car il s'agit d'un matériau biologique qui capture le carbone au cours du processus de production. En outre, en fin de vie, le bois se dégrade naturellement ou peut être utilisé comme biocarburant, un atout important en termes d'économie circulaire.
Enfin, pour certaines essences, il est même possible de les mettre en œuvre sans traitement chimique ou thermique supplémentaire, ce qui les rend encore plus durables d'un point de vue environnemental.
À quelles difficultés principales est confrontée la préservation de la durabilité du bois tropical ?
GD : Les principaux risques concernent, comme pour la déforestation, la compétition avec d’autres usages ou la tentation de pratiques extractivistes pour des marchés peu scrupuleux, plus rentables à court terme. Ce qui entraine une dégradation des forêts et menace à terme la disponibilité en produits bois !
Les impacts du changement climatique sont évidemment aussi à prendre en compte dans l’évolution des pratiques de gestion. La certification forestière et l’achat de bois labellisés FSC par la filière est le meilleur moyen de valoriser les efforts mis en œuvre par les forestiers et d’assurer la durabilité à la fois des écosystèmes forestiers et des approvisionnements. Et cela leur permet également de se mettre en conformité avec la Réglementation européenne contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE).
Y a-t-il des exemples notables d'ouvrages durables employant du bois tropical ?
GD : Bien sûr ! On peut notamment citer plusieurs ouvrages situés dans le Village des athlètes des Jeux Olympiques 2024, les écluses de la ville d'Amsterdam ou même le pont des Arts à Paris.
Grâce à la certification de projet FSC, les maîtres d'ouvrage et les maîtres d'œuvre peuvent communiquer sur leur engagement pour un approvisionnement et une gestion forestière responsable.
La passerelle des arts à Paris © Ludivine Boizard - Ville de Paris
Comment agit l'association FSC pour préserver les forêts et la biodiversité ?
GD : Les normes de gestion forestières FSC incluent de nombreuses exigences pour préserver la biodiversité, que ce soient les espèces emblématiques et protégées et leurs habitats ou la diversité des espèces d'arbres qui est fondamentales pour préserver la santé de l'écosystème.
Cela se traduit par exemple par l'identification de zones spécifiques appelées zones à Haute valeur de conservation qui ne doivent pas être impactées par la gestion forestière. Elles peuvent couvrir de très grandes zones, des paysages forestiers intacts de plus de 50 000 km2, qui n'ont pas été impactés par les activités humaines et qu'il faut préserver. FSC promeut également l'utilisation de la plus grande diversité d'espèces de bois possible, afin d'éviter de focaliser l'exploitation sur les quelques espèces les plus connues. La diversité des forêts dépend de la diversité de nos usages !
Ainsi, une étude scientifique récente prouve que la production de bois dans les forêts certifiées FSC contribue réellement à la protection de la biodiversité dans les forêts tropicales du bassin du Congo.
Qu’en est-il des peuples autochtones des régions d'où proviennent les bois tropicaux ?
GD : Le respect des droits des peuples autochtones, tels qu'ils sont définis par les Nations unies, est également un aspect fondamental de la certification FSC depuis sa création. Cela inclut par exemple le respect des droits coutumiers, même s'ils ne sont pas transcrits dans la loi des pays concernés, le droit au consentement libre informé et préalable pour toute action de gestion qui pourrait les impacter négativement et la protection des sites traditionnels et sacrés.
Par ailleurs, les peuples autochtones sont des acteurs clés, porteurs de solutions pour gérer et préserver les forêts et la Terre en général, et c'est pourquoi FSC a créé la Fondation Indigène FSC, une organisation dirigée par les peuples autochtones qui soutient leur autonomie et leur autosuffisance.