27.02.2023
Dans le cadre de l’organisation du One Forest Summit, l’ATIBT participe aux travaux sur la thématique « Finance innovante », l’occasion de rappeler le rôle des concessionnaires certifiés comme acteurs de la conservation et le besoin de développer des mécanismes de financements innovants.
24 février 2023 - Dans le cadre de l’organisation du One Forest Summit, qui se tiendra à Libreville les 1er et 2 mars, l’ATIBT est associée au groupe de travail en charge de la thématique « Finance innovante ». Il est attendu de nouveaux engagements et des initiatives concrètes sur le développement de sources de financements innovantes notamment en explorant les solutions de conservation de la biodiversité fondées sur le marché.
L’occasion de rappeler la position partagée par l’ATIBT sur ce sujet.
Les gestionnaires forestiers certifiés, acteurs de la conservation
L’ATIBT représente la filière forêt-bois tropicale certifiée, et compte parmi ses membres des gestionnaires forestiers dans le Bassin du Congo et Amazonien. Nous soutenons la lutte contre la déforestation, la préservation et la restauration des forêts tropicales qui sont essentielles pour réduire les émissions de CO2 et renforcer la résilience des écosystèmes et puits de carbone naturels. La préservation des forêts tropicales est également essentielle pour la conservation de la biodiversité, la préservation des ressources en eau, l’amélioration de la sécurité alimentaire et le maintien des moyens de subsistance pour les populations locales. Le rôle des écosystèmes ne peut être ainsi résumé à la simple séquestration de carbone.
Nos membres ont mis en place des mesures performantes de gestion forestière durable, environnementale et sociale, au travers de systèmes de certification reconnus, tels que le PEFC (PAFC dans le Bassin du Congo) et le FSC. Au travers de cette démarche, nous tenons à rappeler le rôle des gestionnaires forestiers certifiés comme acteurs de la conservation. Par les mesures prises telles que la conservation des Forêts à Hautes Valeurs de Conservation, la surveillance de leur concession, la lutte anti-braconnage et la gestion de la chasse, l’application d’un plan d’aménagement basé sur des inventaires exhaustifs, le suivi des gaz à effet de serres, des activités et des partenariats public-privé ou avec des organismes reconnus dans la conservation, ces gestionnaires forestiers maintiennent la biodiversité (c’est maintenant prouvé par de nombreuses études[1]). Ce modèle est innovant car il permet à la fois une rentabilité économique tout en étant bénéfique pour l'environnement. Ce sont alors les entreprises forestières elles-mêmes qui contribuent à la conservation. Ce modèle doit donc être reconnu comme faisant partie de la solution, en parallèle des mesures de conservation « classiques » telles que les aires protégées et parcs nationaux.
Cependant, ces démarches ne sont pas valorisées à leur juste mesure, et on observe que la filière forêt-bois durable n’accède pas à la finance carbone telle qu’elle est conçue par les mécanismes de « certification du marché volontaire du carbone». En effet, il y a aujourd'hui peu de projets de gestion forestière durable enregistrés auprès des standards de certification carbone. Une des premières contraintes au développement de ces projets est la démonstration de l'additionnalité, c’est-à-dire l'idée selon laquelle le "projet" (ici, l'amélioration des pratiques de gestion) n'aurait pu voir le jour sans la finance carbone. Bien que cela soit possible, les concessions déjà certifiées gestion durable auraient plus de mal à démontrer l'additionnalité que les concessions ne faisant pas l’objet de mesures de préservation, et soumises à un fort risque de déforestation, qui répondent davantage au critère d’additionnalité. Ce qui pose une première question : les mécanismes de certification carbone permettent-ils de préserver les forêts tropicales ?[2]
De plus, on observe que la crédibilité des crédits carbone des projets forestiers, et la compensation carbone en général, est remise en question par des critiques récentes[3]. Par ailleurs, la question des crédits carbone s'inscrit dans une logique de "compensation" (un acheteur utilise les crédits pour compenser ses propres émissions). Or, des voix s'élèvent aujourd'hui pour sortir de cette logique et parler plutôt de "contribution" à l'effort global de lutte contre le changement climatique, qui passe non seulement par une réduction mondiale des émissions mais aussi par la protection de la biodiversité. Cette logique de contribution plutôt que de compensation a d’ailleurs été privilégiée à la COP27. On parlerait alors de "contribution carbone " ou "contribution biodiversité", financées par exemple sous la forme de certificats n'ouvrant pas droit à compensation.
Nous rejoignons pour cela l’analyse d’Alain Karsenty, chercheur au CIRAD et membre actif de l’ATIBT, pour qui la logique de compensation devrait céder le pas à une logique de contribution (aux efforts collectifs de préservation de la planète)[4]. Il propose une piste qui serait que l'on abandonne le terme de "crédits carbone" au profit de ce qui pourrait être des "certificats d'impacts positifs" visant à la fois le carbone, la biodiversité et le social (quels avantages pour les communautés locales ?).
L’ATIBT est par ailleurs engagée dans l’initiative OBC (Organization for Biodiversity Certificate)[5], qui vise à créer un outil opérationnel d'évaluation des impacts positifs locaux sur la biodiversité ou sur la capacité d’accueil de la biodiversité, basé sur une proposition de méthodologie construite sur le consensus technique et scientifique.
Il est donc impératif de mettre en œuvre d’autres stratégies de financements et d’interventions de conservation pour sauvegarder les stocks de carbone et la biodiversité dans ces forêts vulnérables.
L’ATIBT croit au développement de concept de « certificats d'impacts positifs sur la biodiversité, le climat et le social » (une formulation plus appropriée que « crédits carbone » ou « crédits biodiversité »), qui pourraient être utilisés par les entreprises en complément (et non en remplacement) de leurs efforts pour réduire leur propre empreinte carbone ou biodiversité.
La finance carbone, encore une opportunité pour les concessions certifiées ?
Bien que le sujet soit moins récent et déjà largement débattu, la question de la finance carbone fait cependant partie des réflexions que mène l'ATIBT à travers sa Commission Carbone et Biodiversité. Les discussions ont beaucoup tourné autour des projets dits "REDD+" de déforestation évitée, à savoir des projets de conservation visant à éviter une menace (la plupart du temps, non planifiée) de déforestation ou dégradation forestière. Les concessionnaires forestiers, surtout ceux ayant déjà des pratiques de gestion durable, ne se retrouvent pas dans ce type de projet.
Or, il existe d'autres opportunités pour les concessionnaires forestiers de bénéficier de la finance carbone via des projets dits "IFM" (Improved Forest Management). Ce type de projets concerne par exemple la mise en œuvre de pratiques dites « RIL-C » (Reduced Impact Logging for Climate Change mitigation, que l’on pourrait traduire par exploitation à faible impact et bas carbone[6]), l'augmentation des durées de rotation et des DMA, la conversion de forêts faiblement productives vers des forêts hautement productives, la mise en conservation de certaines zones dans la concession, etc. Trop peu de projets IFM existent à ce jour, les méthodologies sont complexes et il existe des blocages techniques (par exemple, démontrer que sans la finance carbone, l'amélioration des pratiques n'aurait pas eu lieu) qui freinent les concessionnaires forestiers. La Commission Carbone et Biodiversité étudie comment lever ces blocages et comment mettre en relation des investisseurs avec des porteurs de projets sur le terrain.
Télécharger le communiqué de presse
[1] Ellis et al 2019 "Reduced-impact logging for climate change mitigation (RIL-C) can halve selective logging emissions from tropical forests"
Polisar, J. et al 2027. Using certified timber extraction to benefit jaguar and ecosystem conservation. Ambio 46, 588–603
16. Sollmann, R. et al 2017. Quantifying mammal biodiversity co-benefits in certified tropical forests. Divers. Distrib. 23, 317–328
[2] Lire à ce sujet une étude scientifique publiée dans Nature (Koh, L.P. et al., 2021)
[3] Lire l’article du Guardian et la réponse de Verra. Les critiques concernent pour l’instant les projets de « déforestation évitée » dont le niveau de référence, difficilement mesurable, est controversé. Mais cela porte atteinte à la crédibilité globale du mécanisme de certification des crédits carbone forestier.
[4] Lire à ce sujet la publication suivante : Financement international de la biodiversité : remettre les paiements pour services écosystémiques dans le cadre d’une approche de co-investissement pour le développement durable
[5] L'OBC a été co-fondée par aDryada et Le Printemps des Terres, en collaboration avec Carbone 4 et le Muséum National d'Histoire Naturelle français. L’intention est également de permettre l'émergence de projets mixtes carbone-biodiversité afin de favoriser les initiatives qui encouragent la restauration avec diverses espèces indigènes et, au final, de discriminer les crédits carbone ayant une valeur faible ou négative pour la biodiversité.
[6] Les mesures RIL-C peuvent inclure l’abattage directionnel, l’amélioration des techniques de débusquage/débardage, la réduction de la largeur des routes, des machines plus modernes, etc.