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Le Pernambouc et la musique Une histoire qui dure depuis plus de 200 ans et qui pourrait s’achever en 2025 !

09.12.2024

A un an de la prochaine CoP de la CITES prévue en novembre 2025, les archetiers sonnent l’alarme car rien ne semble être fait pour éviter que le pernambouc ne soit alors classé en « annexe 1 » (interdiction de tout commerce) malgré les engagements pris lors de la CoP19 au Panama en novembre 2022.

Credits photos : International Pernambuco Conservation Initiative - Objectifs - Visions - Actions

Le pernambouc espèce emblématique et indissociable de l’archet dont l’habitat est en très grand danger ;

Le Pernambouc de son nom scientifique paubrasilia echinata - en Brésilien, pau brasil, le bois de braise, - pousse exclusivement au Brésil et a donné son nom à ce pays dont il est l’arbre national.  Il tire son nom de sa couleur rouge intense utilisée pour ses qualités tinctoriales par l’industrie textile jusqu’au début de XXème siècle.  

Le pernambouc pousse dans la Mata Atlantica, la forêt située le long de la côte Atlantique, depuis Sao Paulo au Sud jusqu’ au Nord Est du pays,  et non pas en Amazonie. Une forêt remarquable par la diversité des arbres, la plus importante du monde dit-on, avec plus de 100 essences différentes à l’hectare. Mais elle est en grand danger ; il ne subsiste plus qu’à peine 10% de sa surface d’origine. Les mesures de protections ne font pas le poids face à la déforestation notamment pour l’agriculture intensive - qui est le premier facteur de disparition de cette forêt -, les extensions urbaines et les projets industriels mais aussi face aux coupes illégales de bois.


 

L’archet indispensable complément du violon et de ses différentes déclinaisons que sont l’alto le violoncelle et la contrebasse, a constamment évolué du 16ème siècle jusqu’à la fin du XVIIème dans sa forme mais aussi par les essences utilisées pour le fabriquer. Les archetiers étaient perpétuellement en quête du modèle et de l’essence de bois ad hoc afin de répondre aux attentes des musiciens,  pour répondre aux défis  techniques et artistiques de la musique composée pour ces instruments. Une attente particulièrement pressante à partir de la deuxième moitié du XVIII -ème siècle avec un besoin de plus en plus pressant d’expressivité et de puissance, à quelques années de l’apparition du romantisme et de la création du grand orchestre philharmonique tel que nous le connaissons aujourd’hui.

 C’est l’archetier parisien François Xavier Tourte, en collaboration avec les virtuoses de passage dans son atelier, qui a mis au point à la toute fin du XVIII -ème siècle l’archet tel qu’on le joue aujourd’hui encore : un archet dit « moderne » conçu et façonné à partir des qualités spécifiques d’élasticité, de souplesse et de résistance du pernambouc, ce bois rouge présent alors en France pour en faire de la teinture.

En moins de deux décennies ce nouveau modèle d’archet en pernambouc s’est imposé comme un standard et est devenu l’outil indispensable de tout instrumentiste à corde de qualité, en France mais aussi dans tous les autres pays.

Archèterie et pernambouc sont devenus alors indissociables.

Il est légitime de se préoccuper, de cet arbre emblématique, de son bois aux qualités uniques et de tout mettre en œuvre pour préserver ce qui reste de la Mata Atlantica. 

L’archet de qualité, une spécialité française 

 Si le violon inventé dans le Nord de l’Italie et sublimé par des grands maîtres italiens tels Stradivarius est italien par essence, l’archet, lui, dans sa forme moderne mise au point à la toute fin du XVIIIème siècle est sans conteste, français.  Au-delà de son invention, c’est en France qu’on trouve les plus grands maitres archetiers tout au long du XIXème et du XXème siècle : Les frères Tourte, Dominique Peccatte, Jean-Pierre Marie Persoit, Nicolas Maire, François Nicolas Voirin, Eugène Sartory ou les frères Fétique pour n’en citer que quelques-uns dont les archets atteignent des prix records[1]  et font encore le bonheur des musiciens d’aujourd’hui.

 La tradition se maintient au XXIème siècle. De nouvelles générations d’archetiers de grands talents (dont une proportion importante est distinguée par le titre de Meilleur Ouvrier de France) ont pris le relai pour perpétuer cette tradition de la fabrication d’archets de très haut niveau qui accompagnent la vie des musiciens les plus renommés. Le renom de l’archèterie française est mondial. 

 

[1] Un archet exceptionnel de F.X. Tourte a été vendu aux enchères 576 000 € en 2016

 

La question du bois de replantation

Depuis 1999 les archetiers, à travers  l’IPCI  International Pernambuco Conservation Initiative, ont initié et financé des programmes de replantation de pernambouc en partenariat avec des associations locales et des organisations gouvernementales au Brésil. Ces initiatives visent à reconstituer les zones forestières dégradées, mais aussi à promouvoir une exploitation raisonnée de cette ressource, en lien avec des programmes de développement local. Par exemple, le pernambouc est souvent planté en association avec des cacaoyers, qu’il protège en leur fournissant l’ombre nécessaire à leur croissance. Parallèlement, des travaux scientifiques ont été menés pour améliorer les connaissances sur cette espèce essentielle à l'archèterie.

En 25 ans, ces efforts ont permis la replantation de plus de 340 000 arbres. Ce chiffre est particulièrement significatif lorsqu’on le compare aux besoins annuels de l’archèterie mondiale, qui se limitent à quelques dizaines d'arbres (environ 20m3 de bois d’œuvre). Cela montre que la profession s'inscrit depuis déjà de nombreuses années dans une démarche responsable et durable pour assurer la préservation du pernambouc.

Cependant, les inventaires de ressources qui sont demandés au Brésil, tout comme les rapports de la CITES, ne tiennent pas compte de ces arbres replantés, se trouvant dans un vide administratif, n’étant ni considérés en tant que flore sauvage, ni comme replantation.  Un amalgame persiste entre l’état général de la forêt de la Mata Atlantica et les stocks de pernambouc disponibles. Or la replantation grâce à la croissance relativement rapide du pernambouc, pourrait offrir une solution durable.

 

 

L’utilisation du pernambouc, un enjeu tenable sur le plan de l’écologie ?

Rien ne justifierait de faire disparaitre l’archet en pernambouc. L’archet haut de gamme, fabriqué par nos maitres artisans français dont le travail transcende les qualités uniques de chaque baguette de bois, est indispensable aux musiciens car il permet de transmettre à leurs instruments magnifiques leurs intentions musicales avec une intensité et une subtilité uniques.  Fabriqué avec une petite quantité de bois, en utilisant très peu d’énergie, l’archet est un objet durable. Il s’entretient et peut être utilisé pendant des décennies, voire plus encore. Les archetiers sont de très petits consommateurs de bois, on estime qu’il faut un seul arbre pour la production d’une vie d’archetier. Ce sont des acteurs engagés de la replantation et de l’étude de l’espèce.

Une chance : le pernambouc se reproduit facilement et est exploitable à partir de 40 ans, un cycle rapide pour un arbre.  Si la ressource est bien gérée, elle est une source de richesse pour l’économie locale brésilienne.  D’autant plus que depuis 30 ans les Brésiliens ont créé des manufactures produisant sur place des archets de bonne qualité.   

Mais la filière d’approvisionnement doit être moralisée afin d’éradiquer le trafic illégal qui sévit largement. Quant à la recherche sur des matériaux alternatifs, c’est une constante depuis la naissance de l’archèterie et il faut garder l’esprit grand ouvert aujourd’hui plus que jamais.

Un enjeu actuel peut être de consommer encore moins de pernambouc en concentrant l’utilisation du bois seulement vers l’archèterie haut de gamme, celle que nous connaissons en France tant que nous restons dans l’incertitude sur la légalité de la filière d’approvisionnement en bois de la Chine où sont fabriqués des quantités d’archets bas de gamme.  Mais il faut néanmoins réfléchir à la meilleure utilisation possible de chaque arbre coupé et travailler à la valorisation du bois en évitant les pertes, penser aux débouchés pour du bois de deuxième qualité etc.

Des études, financées par l’IPCI, sont en cours afin de permettre la sélection d’arbres sur pied afin de n’exploiter que les spécimens propres à fabriquer des archets de qualité. De plus, un important travail est à faire sur la question de la traçabilité de l’arbre à l’archet. Un travail de fond doit être mené pour avancer vers une utilisation plus durable et encore plus raisonnée de la ressource.

Est-ce que ces efforts peuvent sauver la forêt Mata Atlantica ? C’est une question délicate : les causes de la déforestation au Brésil sont multiples et principalement liées au développement de l’agriculture intensive et des autres activités humaines. Les coupes de pernambouc n’en sont certainement pas la cause principale. En revanche, l’attention portée à cette espèce emblématique associée à la volonté affichée du président Lula de préserver le patrimoine forestier du Brésil sont un espoir d’enfin stopper la destruction massive de cette forêt.

Les archetiers avec le soutien de l’ensemble des professionnels du secteur de la musique sont à l’œuvre pour consolider le travail déjà accompli via l’IPCI et le rendre plus lisible et visible. En France, nous travaillons en lien afin de mieux structurer les actions engagées pour la protection de la bio diversités des essences de bois utilisées par la facture instrumentale, la lutte contre la déforestation et le trafic illégal. Une association dédiée a été lancée fin 2023 c’est Initiative Arbre et Musique .

En conciliant préservation de la flore sauvage et exploitation raisonnée de cette ressource, nous pouvons garantir l'avenir de l'archèterie tout en protégeant cet arbre emblématique

Vers une possible inscription en Annexe 1 lors de la CoP20 en novembre 2025

Déjà posé sur la table lors de la CoP19 par le Brésil, le sujet va être à l’agenda de la CoP20 en novembre 2025 à Samarcande.  La profession craint que le faible avancement du plan d’action ne leur soit opposé et conduise à l’adoption de l’inscription du Pernambouc en annexe 1. Ceci représenterait un point de non-retour pour l’archèterie et pour la vie musicale. En effet, le classement en Annexe 1 d’une espèce à la CITES est une interdiction de commerce et de passage de frontière du bois sous toutes ses formes qui s’applique au monde entier dans les 90 jours suivant son adoption.

Plusieurs actions concrètes par les professionnels ont été mises en œuvre pour faire avancer le plan d’action adopté. Mais une part importante de celui-ci relève de la responsabilité des états : si les pays ne font pas leur part, ces efforts ne seront pas suffisants.

Or, le classement en Annexe 1 et la surcharge administrative en découlant ne contribueront en aucun cas à préserver ni la forêt de la Mata Atlantica ni le Pernambouc. Et on peut même craindre qu’un tel régime de prohibition soit de nature à renforcer le commerce illégal.

Les archets sont des objets durables. Les musiciens les utilisent, les achètent et les vendent, voyagent avec eux. Une telle interdiction revient à rendre nécessaire l’obtention de documents administratifs permettant une dérogation à cette interdiction pour chacun des archets déjà existants et chacune de ces étapes évoquées (achat, vente, restauration, voyage etc.). : une pression administrative ingérable pour le musicien

L’identification des archets qui n’ont pas forcément des marques distinctives et pas de numéro de série est compliquée, l’établissement des permis sera donc une tâche délicate tout particulièrement pour les archets fabriqués à la fin du XXème et au début de XXIème car il faudra établir de manière argumentée et avec production de pièces justificatives que le bois dont ils sont faits sont entrés en Europe avant 2007.

Les autorités administratives chargées de délivrer les permis dont les services déjà très fortement sollicités   vont se retrouver dans les plus grandes difficultés matérielles à traiter le volume de permis et autres certificats qui seraient rendus nécessaires.

De plus un tel afflux de permis va amener des engorgements aux passages en douane pour faire viser les documents et compliquer les voyages des musiciens. En effet, ce type de document nécessite d’être visé à chaque passage de frontière et ceci ne peut être fait que dans certains points d’entrée spécifiques dans les pays (par ex aux Etats Unis il n’y a que 18 points d’entrée)

Un tel contexte amènera alors aux musiciens comme aux archetiers et luthiers une seule alternative : se trouver fortement contraints voire bloqués dans leurs activités ou se mettre dans l’illégalité.

De telles décisions seraient un facteur de déstabilisation de la production musicale des orchestres et autres ensembles à cordes frottées et la capacité des musiciens à se produire dans différents pays.

Tout cela va conduire rapidement à une remise en cause de l’utilisation même des archets en pernambouc.

Le remplacement des archets en pernambouc par des modèles en composite sur les scènes musicales entraînerait un appauvrissement de l’art musical. Pourquoi former des jeunes musiciens à l’excellence d’une belle sonorité subtile dans les conservatoires ? Pourquoi faire des concours d’orchestre pour recruter des musiciens de haut niveau ?  Si, finalement, ils sont contraints d'émettre un son simplifié et homogénéisé, dénaturant ainsi la richesse de la musique ?

Pour les archetiers - déjà sous pression depuis l’inscription du pernambouc en Annexe 2 en 2007 - cela entraînerait la disparition de leur métier à l’échelle d’une génération faute d’accès à la matière première, les stocks de pernambouc constitués avant 2007 arrivant à leur épuisement ne pouvant être renouvelés. Pourtant, les archetiers sont les garants d’un savoir-faire unique, sans cesse éprouvé depuis plus de 250 ans.

[1] Un archet exceptionnel de F.X. Tourte a été vendu aux enchères 576 000 € en 2016 

 

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